Photo : kremlin.ru
Le pianiste Denis Matsuev, coup de cœur par Pascal Escande
Pascal Escande, professeur de piano et directeur fondateur du Festival d’Auvers-sur-Oise, nous fait découvrir son coup de cœur le pianiste Denis Matsuev.
Denis Matsuev, le Liszt de Sibérie
Pour fêter le retour de Denis Matsuev le 17 juin 2021, la mission DiscAuverS (le label discographique du Festival d’Auvers-sur-Oise) est fière de sortir son « premier live » en France » qui fut enregistré le 2 juin 1999 en L’Eglise Saint-Denis de Méry-sur-Oise dans le cadre de l’Opus 19 du Festival d’Auvers-sur-Oise. A peine couronné du 1er grand prix 1998 lors du 11ème Concours Tchaïkovski qu’il venait de remporter sous des tonnerres d’applaudissements, le Festival l’a invité dès l’année suivante après l’avoir entendu lors d’un concert privé organisé par le Centre Européen Yamaha Paris. A partir de cette date, une amitié vraie et sincère s’est nouée entre le Festival et Denis et au fil des années, celle-ci s’est de plus en plus renforcée. Dès sa première venue, Denis Matsuev a conquis d’emblée le public du Festival dans des récitals absolument stupéfiants de vérité, d’un contrôle absolu du clavier et au service d’une pensée musicale pleinement aboutie. Soulevant l’émotion et l’enthousiasme des festivaliers grâce à un puissant charisme et une joie sauvage communicative, il fut non seulement éblouissant pour le 30ème Festival d’Auvers-sur-Oise dans un florilège de concertos sous la baguette de Vladimir Spivakov, mais encore en musique de chambre avec son quatuor d’amis dans des trios et quintettes de haute volée. Pianiste rare aux dons absolument prodigieux, virtuose au mental d’acier surnommé le Lion d’Irkoutsk ou le Liszt de Sibérie, Denis Matsuev est «l’unique» comme Liszt l’était en son temps, un magicien du clavier, un improvisateur génial, un maître absolu. Et surtout un ami.
Pascal Escande
Directeur fondateur du Festival d’Auvers-sur-Oise
Extrait de l’interview de Denis Matsuev par Stéphane Friederich pour le Festival d’Auvers-sur-Oise
A 42 ans, le musicien Denis Matsuev fait partie du club restreint de l'élite mondiale du piano. Arpentant les scènes d'un continent à l'autre, dirigeant plusieurs festivals, ce passionné incarne autant qu'il la revendique la grande tradition russe. Une bonne école pour les pianistes, s'il en est, à laquelle pourtant il serait faux de le cantonner. Improvisateur hors pair, Denis Matsuev est aussi un amoureux du jazz.
- Votre dernier disque chez Sony réunit deux œuvres de Rachmaninov et de Gershwin. Quel lien imaginez-vous entre ces compositeurs ?
La Rhapsody in Blue représente un standard de jazz au même titre que Porgy & Bessou Summertime et le Concerto de Rachmaninov, l'un des sommets du postromantisme. Le lien qui unit les partitions, c'est le Philharmonique de New York, qui a accueilli les deux musiciens en tant que solistes de leur propre musique. Rachmaninov a assisté à la création de la Rhapsody in Blue. Depuis vingt ans, je rêvais d'enregistrer pour la première fois ces deux piliers du répertoire.
- Vous jouez également beaucoup de jazz. Que signifie pour vous le terme "improvisation" ?
Mon père, qui a été mon premier professeur, est également un fantastique pianiste de jazz. Durant toute mon enfance, j'ai entendu à la maison une très grande variété de styles, d'Art Tatum à Keith Jarrett. J'ai voulu évidemment imiter les pianistes, puis improviser. Je ne parle pas d'improvisation dans "le style de", mais d'improvisation libre. Le fait de jouer régulièrement du jazz libère votre jeu "classique". Je le ressens lorsque je joue avec orchestre. Le chef Yuri Temirkanov m'a dit une chose très juste. Il ne faut jamais refaire exactement la même chose en concert et à la répétition. En public, on doit préserver une part de magie et d'aventure. Enfin, la pratique du jazz favorise un jeu beaucoup plus corporel et une souplesse qui est très utile pour certains compositeurs classiques dont l'écriture est peu pianistique.
- Rachmaninov est l'un des compositeurs aujourd'hui les plus joués. Qu'est-ce qui rend sa musique finalement si attirante ?
L'écriture, tout d'abord, est moderne sous un habillage postromantique. Ensuite, c'est une musique d'une souplesse telle, qu'elle s'adapte à la personnalité des interprètes, quelle que soit l'époque. À chaque fois que je la joue, je me surprends à découvrir des trésors cachés. J'éprouve parfois les mêmes sensations avec Prokofiev, Stravinsky et surtout Bartok. Son Second Concerto, notamment, offre une infinité de jeux, de timbres. C'est grisant.
- Quel est, selon vous, aujourd'hui, le compositeur russe le plus marquant, successeur des Rachmaninov, Prokofiev, Stravinsky et Chostakovitch ?
N'oubliez pas Scriabine et Medtner, deux musiciens essentiels pour le piano ! Je vous répondrais Rodion Chédrine, qui a composé dans des genres très différents. Sa musique n'est pas atonale, mais elle est d'une étonnante modernité parce qu'elle capte tous les styles qui passent à sa portée et crée un langage très personnel. Un peu comme ce fut le cas dans le passé avec Witold Lutoslawski et aujourd'hui Krzysztof Penderecki. Il m'a appelé pour que je joue son Concerto pour piano qui est génial. Bientôt, certainement. Voici des personnalités libres de toute contrainte esthétique. Quand vous sortez d'un concert et que vous ne vous rappelez pas une seule mélodie, c'est problématique. Chacun ses goûts. La musique atonale n'est pas ma tasse de thé !
- Comment voyez-vous l'avenir des jeunes musiciens ?
Il se trouve que je suis maintenant président de la Fondation russe « Les Nouveaux Noms », qui m'a tant aidé. Grâce à la Fondation, nous aidons de nombreux jeunes talents en organisant plusieurs concours dans toute la Russie. Très peu d'entre eux, je parle des pianistes, mèneront une carrière internationale qui passe presque exclusivement par les quatre ou cinq concours internationaux, ceux qui comptent vraiment. Et puis, il y a le show-business qui a investi depuis quelques années la musique classique. C'est une vraie catastrophe car il concentre le regard des médias sur une très petite minorité d'artistes. L'immense majorité des autres talents n'a pas l'occasion de se produire sur les plus grandes scènes. Qui sont les pianistes qui compteront dans dix ou vingt ans ? Rappelez-vous les résultats du Concours Tchaïkovski de 1966 présidé par Emil Gilels. Misha Dichter reçut la médaille d'argent et la réaction du public fut violente, considérant qu'il était le plus grand. Mais, c'est bien du titulaire de la médaille d'or, dont on parle aujourd'hui encore. Un certain Grigory Sokolov...
Écouter, au piano Denis Matsuev…
George Gershwin - Rhapsody in Blue : https://www.youtube.com/watch?v=zKmOv1a8JZk
Rachmaninov - Piano Concerto No. 2 - Prokofiev: Piano Concerto n°2 : https://www.youtube.com/watch?v=LQanRa1lUSQ
Rachmaninov - Piano Concerto No. 3 & Rhapsody On a Theme of Paganini : https://www.youtube.com/watch?v=A5XY10NO2u4
Denis Matsuev joue le Concerto pour piano n°3 composé par Sergueï Rachmaninov, avec l'Orchestre national de France placé sous la direction d'Emmanuel Krivine : https://www.youtube.com/watch?v=Sb-SmRvsW0c
****
Vous habitez ou vous travaillez à Cergy-Pontoise ? Empruntez gratuitement les disques de Matsev dans la bibliothèque la plus proche de chez vous : https://www.bibliotheques.cergypontoise.fr/osiros/result/resultat.php?type_rech=rs&index%5B%5D=fulltext&bool%5B%5D=&value%5B%5D=Denis+Matsuev