Du au
Vendredi 8 décembre, 20h et samedi 9 décembre, 16h
Théâtre des Arts
Entrée libre sur réservation par mail : crr.billetterie@cergypontoise.fr
Spectacle / Théâtre / Musique
Entretien avec moi-même… György Ligeti, au cœur de la toile
Avec deux créations des classes de composition électroacoustique et instrumentale et des réalisations des classes d'écriture du département culture et création
Avec les élèves musiciens du chœur Junior, des classes de chant, de piano, de violon, de musique de chambre et de percussions africaines
Avec les élèves comédiens de la Licence Lettres et Arts Vivants, spécialité théâtre
Conception et texte : Laetitia Chassain, Jeanne Hirigoyen
Coordination, recherche et programmation musicale : Alain Besson, Laetitia Chassain
Mise en scène : Marc Schapira
Avec la participation de Valeria Monfort-Suchkova
Le 28 mai 2023, le compositeur György Ligeti aurait eu cent ans… L’occasion rêvée pour ce nouveau « Culture en scène » de nous plonger, tels des explorateurs, « au cœur de la toile » du maître hongrois. Nourri à la fois de la somme de ses écrits et du conte préféré du compositeur, Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, ce spectacle nous invite à le suivre, entre tragique et légèreté, dans les méandres du labyrinthe de sa création. A l’origine de cet univers si fascinant et singulier, entre textures brouillées et mécanismes qui se détraquent, Ligeti nous livre une clef : un rêve-cauchemar qu’il fit petit garçon lorsque, de son lit en fer forgé, il se rêvait pris dans les fils d’une immense toile d’araignée… Ce rêve fondateur deviendra sur la scène de Cergy-Pontoise, le théâtre d’une aventure extraordinaire, au royaume de l’absurde, du complexe et de l’illusion.
Département culture et création du CRR de Cergy-Pontoise.
Mettre en scène un « Culture en scène » est toujours une entreprise passionnante.
Celui-ci, consacré à György Ligeti, me met au défi de rendre scéniquement sensible un univers d'une richesse musicale inouïe, étroitement lié à son histoire personnelle et aux résonances mentales qui lui font écho. La disparition de sa famille dans les camps nazis, l'exil, la hantise de la mort sont transcendés par une force de résilience exceptionnelle, mobilisée dans le geste artistique.
Comment rendre compte du chaos émotionnel qui dicte la diversité et l'inventivité d'une telle œuvre ?
Laetitia Chassain et Jeanne Hirigoyen ont rédigé un texte qui épouse absolument ce désordre apparent, fait d'épreuves bien réelles que Ligeti doit surmonter et de rêves cauchemardesques qu'il doit affronter.
De l’un d’entre eux il fit même l’origine de son univers musical. Ce rêve, d’une charge expressive peu commune, a déclenché à son tour mon imaginaire, laissant entrevoir le bout d'un fil tendu vers une scénographie possible.
Il s'agit bien d'un fil tendu !
Ligeti se rêve prisonnier d'une gigantesque toile d'araignée. Une multitude d'insectes sont pris comme lui dans la toile. Le vrombissement désespéré de leurs ailes sont terrifiants. Plus elles s'agitent plus l'étau arachnéen se resserre.
Il y a là une image puissante et surtout, un espace.
Une géométrie extrêmement précise et finie, qui, transposée dans l'œuvre musicale, ouvre une porte vers l'infini.
Laetitia me l'explique avec ce terme : le monde "encagé" dans lequel se trouve constamment enfermé Ligeti est transformé dans ses compositions en ouverture vers des espaces non-limités de liberté.
Liberté sonore aux confins de l'audible, structures musicales comme autant de toiles, de nœuds et de trames que le génie transforme en échappées respirantes.
Les espaces au plateau pourront donner l'impression de déborder de la "cage de scène" (bien nommée, pour le coup !).
En tout cas, ils seront multiples et mouvants.
Les tulles donneront l'aspect irréel que je crois nécessaire, les images projetées donneront un effet de de surimpression sur le jeu des comédiens.
Nous peuplerons la scène d'étranges apparitions sorties du labyrinthe revisité d'Alice au pays des merveilles.
L'espace sonore bien sûr sera lui aussi un élément capital de ce spectacle, traversant, grâce aux musiciens au présent sur le plateau, les influences multiples du compositeur.
Nous souhaitons rendre au présent de Ligeti toute sa valeur paradoxale : espace-temps de tous les possibles, porte ouverte à l'esprit délivré du passé douloureux et de l'angoisse du futur.
Marc Schapira
« Entretien avec moi-même », drôle de titre, n’est-ce pas ?
Ce titre est de Ligeti. Il désigne un article de 1971 dans lequel, avec l’humour et la distance malicieuse qui le caractérisent, il s’amuse à s’interviewer lui-même ! Comme nous ici ce soir. Sans personne. Face à son double. Or, derrière la blague un brin provocatrice se manifeste surtout l’une des lignes de force de ses écrits : un état de veille permanente à l‘égard de son œuvre et d’auto-analyse d’une rare acuité.
La peur de la redite ?
Sans aucun doute. Peut-être y a-t-il eu aussi le besoin de maîtriser les récits à venir sur sa musique ? Car il redoutait tout autant l’« impasse de la redite » que de se voir enfermer par les commentateurs dans une idéologie quelconque. Rappelons qu’il avait subi en Roumanie et en Hongrie, avant de fuir à l’Ouest de l‘autre côté du rideau de fer, le joug de deux dictatures successives : la dictature nazie tout d’abord, puis stalinienne ! De quoi vous marquer à jamais.
L’horreur, l’Innommable, Ligeti l’a côtoyée de très près ?
Oui, d’origine juive, toute sa famille a été déportée. Seule sa mère a survécu. Son père et son petit-frère Gabor, de cinq ans plus jeune que lui, ont péri dans les camps. Lui-même, réquisitionné dans un camp de travail, a échappé de peu à la mort. De tout cela il parle peu, ou de façon factuelle, sans le moindre pathos, mais la mort est omniprésente dans son œuvre. Tour à tour tragique comme dans le Requiem ou grotesque, comme dans l’opéra Le Grand Macabre et son rôle-titre complètement déjanté : Nekrotzar, qui reviendra hanter le petit conte fantastique de ce soir.
Vous avez évoqué la fuite de Ligeti de Budapest en 1956 ? J’imagine qu’elle a dû jouer un rôle essentiel dans sa création ?
Il y a assurément un avant et un après 1956 dans sa création. Le spectacle s’articule du reste autour de cette date-clef. C’est là que tout bascule, quoique des marques tangibles de son style à venir soient déjà là au début des années 50. Car avec la déchirure de l’exil, c’est pour Ligeti la découverte éblouie de toute l’avant-garde occidentale qui lui était inconnue jusque-là : Stockhausen, Boulez, Webern, la musique électronique… Un choc déterminant et inspirant. De là vont naître ses grandes pages d’orchestre ou de chœur, d’Apparitions et Atmosphères (1959-1961) à Lux aeterna (1966) que le mélomane Stanley Kubrick révèle au grand public dès 1968 en les associant aux images de son film culte 2001, Odyssée de l’espace.
Vous nous avez livré quelques clefs d’introduction au spectacle de ce soir. Pour nous résumer, il y a d’abord son titre - un Ligeti qui s’entretient avec lui-même et ses doubles. Sa structure, en deux actes. Son genre, un petit conte fantastique… et quoi d’autre… ?
Eh bien, les clefs sont faites pour ouvrir des portes. Or dans la 2e partie de ce petit conte, là où tout bascule et se rêve, sept portes s’ouvriront l’une après l’autre, comme dans Le Château de Barbe-Bleue de Bartók, l’idole de la jeunesse de Ligeti. Autant d’initiations à son univers que je vous laisse découvrir, comme Alice le fit au Pays des merveilles. Car « Au cœur de la toile » est aussi un pays imaginaire ; conçu comme un labyrinthe intérieur, peuplé de petits êtres allégoriques, entre nuages et horloges, surgis tout droit de la musique de Ligeti elle-même et de ses personnages un peu fous du Grand Macabre. Vous y ferez connaissance de sa « micropolyphonie », un nouveau type de contrepoint si complexe qu’il en devient inaudible et engendre des textures brouillées, constamment changeantes, de son art du canon, de sa fascination pour les horloges, etc. avec en fil rouge, un lapin blanc tout à fait spécial !
Ce spectacle est un « Culture en scène ». C’est-à-dire ?
L’idée de ce type de spectacle est née au sein du département culture et création du CRR de Cergy-Pontoise il y a une dizaine d’années, avec la participation d’un grand nombre de professeurs et d’élèves du conservatoire tous les deux ans environ. Nos vœux ? Mobiliser les forces créatives du département autour d’une thématique commune, créer une synergie collective à l’échelle du conservatoire qui puisse rassembler musiciens, comédiens et danseurs – des danseurs comédiens cette fois - et offrir à partir d’une écriture volontiers fantasque et de la mise en scène de notre complice Marc Schapira, un espace d’interprétation et d’inventivité commun à tous. Pour le public enfin, l’inviter à plonger de manière sensible dans l’univers d’un créateur, en évitant surtout un discours doctoral ou informatif. « Sentir avant de connaître », une consigne chère à l’univers de Ligeti, cela tombe bien, sachant que tout ce qui est dit, vu ou entendu, a vocation à servir l’œuvre de la plus rigoureuse et de la plus informée des manières possibles. Il s’agit donc de toujours partir de l’analyse de l’œuvre, comme de la lecture des écrits et des sources disponibles. Somme toute, de s’efforcer de sortir la musicologie des disciplines « théoriques » pour en faire aussi une discipline créative au service de l’émotion.
Laetitia Chassain avec LC
Entrée libre sur réservation par mail : crr.billetterie@cergypontoise.fr
CONSERVATOIRE À RAYONNEMENT RÉGIONAL DE CERGY-PONTOISE
95000 Cergy
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